Par Philippe Légé, Christophe Ramaux, Henri Sterdyniak et Sébastien Villemot
Le gouvernement s’entête : le projet de loi de finances (PLF) 2016, s’acharne à prolonger et même à intensifier une politique qui ne fonctionne pas, qui s’inscrit dans l’objectif libéral, réduire les dépenses publiques pour baisser les impôts des entreprises. Le résultat est cruel : plus de 6,3 millions de personnes inscrites à Pôle emploi, soit 1,2 million de plus qu’en mai 2012.
La dépense publique n’a jamais été aussi utile
La présentation du PLF est symptomatique de cet aveuglement libéral : au lieu de commencer par exposer ce qu’apporte la dépense publique, et les éventuelles réorientations nécessaires pour qu’elle remplisse plus efficacement ses missions, la réduction de la dépense publique et des déficits est présentée comme l’objectif central à atteindre.
La dépense publique n’a pourtant jamais été aussi utile. Elle a permis d’amortir considérablement le choc de la crise débutée en 2008. Ainsi, si le PIB français a augmenté de 2008 à 2014 d’un maigre 2 %, cette hausse est à mettre au crédit de la consommation publique (éducation, santé…) : si cette dernière était restée constante, le PIB aurait au contraire diminué. Les prestations sociales (retraites, allocations familiales, chômage, RSA…) ont en outre permis de maintenir la consommation des ménages et de compenser partiellement l’effondrement de l’investissement privé.
Loin d’en tirer les leçons, le gouvernement se fixe comme objectif de réduire les dépenses publiques de 50 milliards d’euros de 2014 à 2017. Certes, il s’agit d’une baisse par rapport à une tendance d’évolution spontanée, et non pas par rapport au niveau de 2014, mais l’austérité n’en est pas moins là. Pour 2016, le gouvernement prévoit une progression des dépenses publiques de seulement 0,3 % en volume, soit un taux historiquement bas, inférieur à la croissance anticipée.
L’investissement public est le grand sacrifié de cette politique, alors que la qualité de ses infrastructures est l’un des atouts traditionnels de la France.
Mais ce patrimoine collectif est aujourd’hui menacé par la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales, qui assurent l’essentiel de l’investissement public. Concrètement, cela signifie moins de logements sociaux, de crèches, d’écoles, d’équipements sportifs et culturels, d’investissements dans la transition écologique… sans compter l’effet sur les PME (notamment dans le BTP). Sur les sept derniers trimestres, la baisse de l’investissement public atteint le niveau impressionnant de 10 %, et la tendance devrait se poursuivre avec les baisses de dotations prévues par le PLF.
Une future dégradation de l’offre médicale
La Sécurité sociale subira également une coupe importante de 7,4 milliards d’euros. Le système de santé a déjà été soumis à une très forte pression après les multiples réformes libérales de ces dernières années. Dans ces conditions, exiger de « faire plus avec moins » engendrera une nouvelle dégradation des conditions de travail et du service rendu aux patients. Il obligera de plus en plus les Français à recourir aux complémentaires santé.
En outre, le gouvernement va modifier les règles de revalorisation des prestations au détriment des bénéficiaires ; l’accord entre le patronat et certains syndicats sur les retraites complémentaires retirera environ 1 milliard d’euros aux retraités ; et le gouvernement table cyniquement sur des baisses de prestations chômage à l’issue des prochaines négociations à l’Unedic.
Le gouvernement multiplie les cadeaux aux entreprises…
Parallèlement, le gouvernement amplifie les cadeaux aux entreprises. Ceux-ci sont coûteux et inefficaces. En 2016, les réductions d’impôts et de cotisations sociales au titre du CICE et du Pacte de responsabilité s’élèveront à 33 milliards d’euros. Le raisonnement libéral est connu : accroître les marges des entreprises leur permettrait d’augmenter leurs investissements et, partant, la croissance et l’emploi.
Mais pas plus qu’hier, cela n’a été vérifié dans les faits. L’investissement des entreprises reste désespérément atone et n’a toujours pas retrouvé le niveau de 2008. On attend toujours les centaines de milliers d’emplois qui devaient résulter de cette politique de l’offre. Le gouvernement se refuse à admettre cette leçon keynésienne élémentaire : les entreprises n’embauchent que si elles en ont besoin pour produire, et pour cela encore faut-il vendre, ce qui relève de la gageure quand la demande est déprimée par l’austérité.
…tout en augmentant la fiscalité des ménages
Pour financer la forte baisse de la fiscalité des entreprises, le gouvernement augmente aussi la fiscalité sur les ménages.
La baisse de 2 milliards de l’impôt sur le revenu — très critiquable car elle réduit le seul impôt progressif — ne permet pas de compenser les hausses de cotisations sociales des salariés, les augmentations d’impôts locaux (conséquence de la baisse des dotations de l’État), et celles de la fiscalité écologique (qui frappera les plus pauvres faute de mesures compensatoires ciblées).
Au total, ce sont près de 3 milliards supplémentaires qui seront prélevés sur les ménages, ce qui ne manquera pas de pénaliser la consommation.
Se libérer du carcan austéritaire
Comble de l’absurdité, la politique d’austérité ne permet même pas d’atteindre l’objectif de baisse des déficits et de l’endettement public. L’horizon auquel la France devrait atteindre le seuil de 3 % de déficit public ne cesse d’être repoussé d’année en année (du fait de l’insuffisance de l’activité et donc des recettes fiscales), tandis que le ratio dette sur PIB augmente continûment (par « effet dénominateur »).
C’est une tout autre politique qu’il faudrait aujourd’hui mener, libérée du carcan austéritaire inscrit dans les traités européens.
Pour un « pacte social et écologique »
À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le président de la République a déclaré : « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Que ne l’avait-il dit plus tôt ? Ces attentats ont en effet mis en lumière le rôle indispensable des services publics et des fonctionnaires, qui ont su être à la hauteur des circonstances malgré les baisses d’effectifs et de dotations.
Si les besoins de sécurité doivent l’emporter sur un pacte de stabilité mal pensé, il doit en être de même pour les besoins sociaux et écologiques. La France est aujourd’hui en « état d’urgence sociale », avec un chômage de masse et des inégalités sociales et territoriales en hausse. Les exigences de plein emploi et de cohésion sociale doivent redevenir les objectifs centraux de la politique économique ; cela passe par une rupture avec les dogmes libéraux.
À l’heure de la COP21, il faut également faire face à « l’état d’urgence climatique », et lancer dès aujourd’hui des investissements massifs dans la reconversion de l’appareil productif et la transition énergétique. Pour être à la hauteur des enjeux de la période, c’est un « pacte social et écologique » qu’il faudrait mettre en place.
Ce texte a été initialement publié sur L’Obs – Le Plus.
Pour une analyse plus approfondie du budget 2016, voir la note des Économistes Atterrés : « Budget 2016 : les 10 méprises libérales du gouvernement ».