Après une longue grève avec occupation de 9 mois, les coiffeur·euse·s et manucures sans-papiers du « salon de beauté » du 57 boulevard de Strasbourg (Paris 10e) ont obtenu une grande victoire : toutes et tous sont aujourd’hui régularisé·e·s. C’est la deuxième lutte victorieuse de travailleur·euse·s sans-papiers dans le quartier, après celle du 50 boulevard de Strasbourg il y a un an environ.
Ce qui fait la spécificité de ces luttes, c’est le caractère incroyablement violent de l’exploitation dont ont été victimes les travailleur·euse·s concerné·e·s. On peine à croire qu’il existe dans la France du XXIe siècle des « entreprises » où les employé·e·s sont payés à la tache, sur une amplitude horaire de 9h à 23h, 6 jours sur 7, pour un salaire de misère (quelques centaines d’euros par mois), et encore, quand le patron daigne payer… C’est en réalité une véritable mafia qui détient ces commerces du quartier « Château d’Eau » et qui étend son emprise sur ces travailleur·euse·s sans-papiers, n’hésitant pas à manier l’intimidation physique et la menace de dénonciation à la police.
Dans ces conditions particulièrement difficiles, le courage et la détermination des salarié·e·s du 57 sont exemplaires. Après avoir brisé le mur de la peur en se mettant en grève, ils et elles ont tenu bon face aux nombreuses tentatives de faire échouer leur mouvement. Pour commencer, après avoir accepté à contrecœur de régler les arriérés de salaires et de fournir contrats de travail et fiches de paye en bonne et due forme, leur employeur a finalement placé l’entreprise en liquidation judiciaire, privant ainsi les grévistes de la possibilité d’être régularisé·e·s sur la base de leur activité salariée existante. Les grévistes et leurs soutiens ont ensuite dû faire face à de multiples intimidations et agressions, en particulier des menaces de mort contre des militant·e·s ainsi que des projectiles lancés en pleine nuit sur la vitrine du lieu d’occupation. Enfin, la Préfecture de Police a tenté le pourrissement du mouvement en ne régularisant initialement que 5 des 14 travailleur·euse·s privés de titre de séjour. L’objectif était bien entendu de diviser les grévistes pour entrainer le délitement du conflit, et, en définitive, éviter une remise en cause des pratiques mafieuses généralisées dans le quartier. Les grévistes ont heureusement su rester solidaires et constants face à tous ces obstacles, bénéficiant du soutien déterminant de leur syndicat, la CGT, mais aussi d’un large élan de solidarité qui s’est cristallisé autour de leur combat, agrégeant habitants du quartier, cinéastes, chercheurs, militants associatifs et politiques, élus…
Au-delà des spécificités de la situation du 57 boulevard de Strasbourg et du quartier Château d’Eau, la lutte des travailleur·euse·s sans-papiers porte un intérêt général. Elle nous rappelle que salaires, conditions de travail et situation administrative sont liés. Les employeurs profitent des situations de fragilité de ces travailleur·euse·s, conséquence de leur privation de titre de séjour, pour pratiquer une véritable « délocalisation sur place » en s’affranchissant de toutes les protections normalement fournies par le code du travail. Ce qui permet ensuite à ces patrons voyous d’exercer une concurrence déloyale qui élimine les autres entreprises ne pressurant pas suffisamment leurs salarié·e·s. En se battant pour leur régularisation, les travailleur·euse·s sans-papiers s’opposent donc à la mise en concurrence des travailleur·euse·s entre eux et s’inscrivent, aux côtés du salariat mobilisé, dans le combat d’ensemble contre les politiques néolibérales.
Ces luttes contribuent par la même occasion à faire refluer les discours d'ethnicisation des rapports sociaux, discours qui nous sont quotidiennement servis par le Front National et leurs alliés objectifs. D’ailleurs, les grévistes du 57 ont eux-mêmes su maintenir une forte cohésion bien qu’étant issu·e·s d’horizons très différents (Côte d’Ivoire, Nigéria, Chine…). Ils nous ont donc fait la démonstration concrète que la question sociale prime toujours sur les différences ethniques, culturelles et religieuses. L’exigence d’égalité portée par leur lutte est le meilleur remède contre les idées xénophobes et racistes et la mise en concurrence des identités.
La victoire acquise, tout n’est bien sûr pas encore réglé. Les ex-grévistes vont maintenant devoir trouver un nouvel emploi pour transformer leur autorisation provisoire en une véritable carte de séjour. La plainte pour traite des êtres humains déposée par la CGT n’a toujours pas abouti et ne semble pas susciter un grand intérêt de la part des autorités. Et il faudra encore beaucoup d’efforts pour assainir la situation du quartier Château d’Eau, tout en évitant l’écueil d’une solution sécuritaire qui aggraverait encore plus la situation des sans-papiers et ne ferait que déplacer le problème. Mais d’ores et déjà, la victoire du 57 fait sentir ses effets au-delà des portes du petit salon de beauté. Il semblerait que les patrons du quartier sont dorénavant beaucoup plus diligents dans le paiement des salaires, de peur qu’une nouvelle grève se déclenche. Un salon chercherait même à embaucher en CDI, du jamais vu ici. La peur commence à changer de camp…