Constatant l’impossibilité d’arriver à un compromis acceptable avec les institutions de l’ex-Troïka, Alexis Tsipras et le gouvernement grec ont annoncé l’organisation d’un référendum le 5 juillet prochain.
Jusqu’au bout les négociateurs grecs auront tenté de trouver un accord, acceptant de faire de douloureuses concessions sur les objectifs d’excédent budgétaire, les privatisations, la TVA, les retraites… Mais ils ont dû faire face à l’intransigeance des créanciers, qui n’auront rien cédé durant les cinq derniers mois, à tel point qu’il est difficile de parler de négociation pour ce qui fut en réalité un processus à sens unique. Les créanciers ont prétendu imposer ligne à ligne la politique que devait suivre la Grèce ; ils ont refusé de s’engager à négocier un plan de restructuration de la dette grecque ; ils ont refusé de tenir compte de l’échec des politiques qu’ils avaient imposées aux gouvernements grecs précédents.
Il est dorénavant clair que, depuis le début, le but des créanciers n’était pas de trouver un accord bénéfique pour la Grèce et le reste de la zone euro, mais plutôt de contraindre Alexis Tsipras et Syriza à la capitulation, afin de tuer toute possibilité d’une politique économique alternative en Europe. C’était sans compter sur la résistance du gouvernement grec, qui a refusé jusqu’au bout de renier le mandat qu’il avait reçu des urnes. Les institutions de la Troïka, dans un ultime coup de force, ont alors décidé mercredi 24 juin de lui lancer un ultimatum : la dernière proposition des créanciers devait être acceptée sous 48 heures.
C’est dans ces circonstances qu’Alexis Tsipras a décidé de convoquer un référendum, demandant au peuple de se prononcer sur la proposition des créanciers. Cette décision n’a rien d’un coup de force : le gouvernement n’a fait que constater qu’il n’avait pas reçu mandat pour signer un accord guère différent des mémorandums antérieurs, que les Grecs avaient rejetés par leur vote de janvier dernier. Il faut saluer cette décision courageuse, qui est à la hauteur des exigences démocratiques dont l’Union européenne se targue d’être la dépositaire.
Pourtant, les institutions européennes ont tout tenté pour éviter que le référendum se tienne dans de bonnes conditions. L’Eurogroupe, réuni le 27 juin, a ainsi refusé d’accorder une extension de quelques jours du programme d’ajustement. Avec l’expiration du programme mardi 30 juin, la dernière proposition des créanciers devient caduque, rendant le référendum en apparence sans objet. Cette manœuvre a cependant fait long feu puisque Jean-Claude Juncker, après avoir dénigré le référendum comme portant sur une question devenue obsolète, a changé son fusil d’épaule et appelle maintenant à voter « oui ».
La Banque centrale européenne (BCE) n’est pas en reste : en refusant le 28 juin d’augmenter le plafond des liquidités d’urgence fournies aux banques grecques, elle savait qu’elle allait précipiter une crise bancaire, étant donné le niveau des sorties de liquidités observées les jours précédents. L’objectif inavoué de la BCE est politique : il s’agit de créer des conditions de peur au sein de la population grecque, pour que celle-ci se rebelle contre un gouvernement perçu comme aventurier et irresponsable. Les autorités grecques ont réagi en prenant la décision qui s’imposait : un contrôle des capitaux, c’est-à-dire une limitation des virements vers l’étranger et des retraits en liquide. Ceci aggravera cependant les difficultés économiques de la Grèce. La responsabilité en incombe pleinement à la BCE qui, une fois de plus, s’écarte de son rôle de garant de la stabilité de la zone euro et préfère intervenir sur le terrain politique.
En dépit de ces tentatives d’entrave à l’exercice de la démocratie, le peuple grec va maintenant s’exprimer. Il faut espérer que le « non » l’emporte. L’accord proposé par les créanciers ne résoudra en effet aucun problème, bien au contraire. Le plus sûr est qu’il n’assurera même pas pas le remboursement de la dette par la Grèce. Le cœur du projet d’accord est constitué de nouvelles mesures d’austérité, qui ne pourront que conduire à une nouvelle dégradation de la situation économique et sociale, comme l’ont fait les précédents mémorandums. La Grèce devrait encore effectuer 3,5 points de PIB de mesures d’austérité, ce qui réduirait celui-ci et demanderait d’autres mesures restrictives. Les mesures proposées affaiblissent notamment la compétitivité du tourisme. Pire, l’ex-Troïka a refusé « l’austérité redistributrice » que le gouvernement grec était prêt à concéder afin de faire reposer les efforts sur les épaules de ceux qui en ont les moyens ; tout à son dogmatisme idéologique, elle préfère des coupes dans les petites retraites et des augmentations de taxes sur les produits de base, plutôt qu’une imposition des riches et des entreprises les plus profitables que n’ont cessé pourtant de proposer les négociateurs grecs.
Contrairement à ce qui est avancé par les créanciers, un vote « oui » ne garantit donc aucunement le sauvetage du pays ni même son maintien dans la zone euro. Les milliards prétendument versés seront immédiatement engloutis dans le remboursement des échéances de dette et, dans six mois, le pays se retrouvera dans la même situation qu’aujourd’hui mais avec une économie encore plus dégradée. Seule une restructuration de la dette grecque et un plan de relance et d’investissement permettraient de sortir de cette spirale infernale.
À l’inverse, un vote pour le « non » permettrait de signifier démocratiquement aux institutions européennes qu’elles ne peuvent pas s’entêter ainsi dans une logique économiquement et socialement destructrice. Ce vote n’aurait pas pour conséquence immédiate la sortie de la Grèce de la zone euro : ceux qui affirment le contraire avouent implicitement qu’ils n’envisagent pas que la zone euro puisse être autre chose qu’un espace économique où l’ordre néolibéral prime sur la démocratie et les besoins sociaux.
Un vote « non » permettrait au contraire de rouvrir les négociations entre partenaires européens, sur la base d’une légitimité renouvelée pour le gouvernement grec. Ce dernier verrait sa position de négociation renforcée, face à des créanciers qui sont moins en position de force qu’il n’y paraît : ils ne souhaitent probablement pas prendre le risque d’une sortie de la Grèce qui aurait des conséquences économiques et politiques potentiellement désastreuses pour l’union monétaire.
On ne peut toutefois pas exclure que, poussées par leur aveuglement idéologique et faisant fi de toute rationalité économique, les institutions européennes persistent à refuser tout compromis. Le gouvernement grec aurait alors toute légitimité pour maintenir son refus des logiques d’austérité destructrices et, si besoin, pour tirer les conséquences de la rupture, ce qui serait en tout état de cause préférable pour la Grèce à une capitulation face aux diktats libéraux.
Quoi qu’il en soit, il est clair que le vote « non » est le seul à même d’ouvrir des possibilités et de recréer l’espoir en Grèce, après cinq années d’austérité qui ont engendré une crise économique, sociale et humanitaire sans précédent. Et, dix ans après les « non » français et néerlandais au Traité constitutionnel européen qui furent honteusement piétinés, c’est aussi un vote qui ouvrirait une nouvelle brèche dans la chape de plomb austéritaire qui étouffe notre continent, redonnant de l’espoir à l’ensemble des peuples européens.
Contre l’austérité et l’idéologie libérale, pour une Europe démocratique et sociale, soutenons le peuple grec ! « Oxi ! »
Initialement publié sur le blog Marianne des Économistes Atterrés.